La totale

Premier tiers

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Le temps est tangent. Hésitation entre sortir à poil ou en baskets, ce matin. J’ouvre un volet : le sol est sec, ça devrait le faire. Le temps d’enfiler ma tenue et de mettre le pied dehors une averse torrentielle a déjà transformé la place pas plane en une sorte de lac. En France, chaque saison a désormais sa mousson.

Je manque de faire demi-tour et remonter me chausser. Car le barefoot pluvieux sans la protection des précieux coussinets peut être blessant. (Mal)heureusement, je ne suis pas dotée de la fonction marche arrière. Je ferai sans, à mes risques et périls.

Très vite, je sens la douleur (et la sensibilité) monter dans la pointe de mes gros orteils. Tout un conditionnement-stimuli à réinventer. Premier arrêt, la lanière enroulée autour de ma taille et recyclée pour faire tenir mon collant
de running me gêne. Je l’enlève.

Je rentre en ville. Avec le déluge qui s’abat sur le macadam, il n’y a pas foule. Pour un peu, on dirait que la nuit est en train de tomber. Ouf, car le regard des gens (tout comme le risque d’être appelée pour un remplacement) est souvent une excuse suffisante pour ne pas aller me dégourdir les jambes. Second arrêt pour règler mes bretelles de soutif.

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Second tiers

Là où je pensais que le passing pédestre se ferait comme une lettre à La Poste, ça dérape lamentablement. C’est l’heure de pointage des ouvriers, impossible de les esquiver. Tous n’ont pas la tête dans le cul. L’un m’assène sur un ton péremptoire : « – vos baskets, mademoiselle, enfin ! »

C’est marrant, parce que j’imagine facilement que ses grands-parents ont vécu la moitié de leur vie pieds nus en Afrique du Nord et que ses parents ont eu une dure vie de labeur pour qu’il puisse s’offrir un jour les mêmes mocassins vernis qu’un Macron, celui-là même qui taille des costards aux ouvriers.

Je culpabilise presque du reniement involontaire de mon étiquette et, de fait, de mon statut temporaire d’hippie décivilisée. Moi, je déconstruis, alors que lui tente d’adopter de toutes ses forces l’apparat occidental et tous les attributs du folklore ad hoc,  synonymes d’ « intégration ». Face à la provocation et l’agression que caractérise le simple fait que je ne porte pas de chaussures, je m’enfuis à grandes enjambées, avant que ses camarades – qu’il interpelle sur mon accoutrement – ne fondent sur moi pour m’invectiver à leur tour.

La gardienne du parc au téléphone avec un interlocuteur, se fige instantanément à ma vision, interloquée. Bien vite, je dois en faire autant et freiner des quatre fers car, une rubalise barre le passage sur quelques centaines de mètres. Sans raison apparente : pas d’arbres coup-de-foudrés à terre, pas de rigole bitumeuse ou de marquage frais au sol. Fichtre. Je décide d’en faire fi et contourner l’obstacle. Après tout, ça fait bien longtemps que j’ai fait miens les accès interdits.

Très vite, je constate les conséquences néfastes de l’omission de l’indispensable paquet de mouchoirs.
« – est-ce que… ?
– ben non, ce ne serait pas rigolo, sinon. »

Remplacez les points de suspension par « bracelet-éponge » et vous aurez une idée de la tragédie qui se joue : je suis sortie sans le doudou incontournable du sportif. Je m’apprête à prendre la suite d’Adèle, dans le film éponyme où la morve constitue indéniablement l’ingrédient principal.

Là, je cours au désastre.

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Troisième tiers

Au niveau du souffle, c’est la cata. Tandis que mes jambes avancent à une cadence régulière, mes poumons peinent à suivre. J’ai l’impression que j’oublie carrément de respirer pendant de longues périodes. Et quand je m’en rends compte, je suis au bord de l’asphyxie. Par moments, je frôle même l’apoplexie. Je fixe avec une méfiance mêlée d’angoisse la file d’ouvriers qui embauchent au chantier près du parc aquatique. A mon grand soulagement, ils resteront muets, bien que leurs regards en disent long.

Mon audition défaillante rend inintelligible le marmonnage de l’agent de sécurité du bâtiment de la radio à mon passage. Tant mieux, être à moitié sourde a parfois (rarement) du bon.

Pour occulter ma faiblesse spectaculaire en matière d’oxygénation et faire diversion, arrive à la rescousse la réminiscence de mon mal de dos qui surgit quasiment à chaque run. Merci. Puis disparaît. Merci.

Après avoir survolé allègrement l’épreuve de la place devenue patinoire (c’est beau, le marbre !), je manque ensuite de me casser la figure par deux fois. D’abord devant le hall d’entrée de mon immeuble. C’est un running gag à chaque fois que le sol est trempé : j’y pense puis j’oublie. Et en grimpant dans le bac à douche : même avec mon entorse, ça ne s’est pas produit.

Quel chrono au final ? Aucune idée. Le temps est tellement est couvert et/ou le GPS de ma montre Décathlon (OnMove 100) tellement capricieux qu’il restera mutiquement à zéro jusqu’à la fin. Pas très cool niveau encouragement pour une reprise sur les chapeaux de roues. En même temps, peut-être vaut-il mieux ne pas connaître l’ampleur du désastre…

Je me demande encore comment j’ai pu accomplir il y a 2 ans les 30 ou 40 bornes des ponts de Paris et du tour des Maréchaux. Je devais probablement cacher une bonbonne d’oxygène dans mon sac à dos, à la place du camelback.

Aussi sacrificiel sera-ce, se lever plus tôt me permettra assurément de me dissoudre dans le noir lacté. L’enfer, c’est les autres.

Quatrième tiers
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Pourquoi ce reboot sportif ?

Parce que la sensation pieds nus sur le macadam me manquait, indubitablement. Un peu.

Par contrainte aussi. Beaucoup.

Deux raisons essentielles m’y ont poussée. D’abord, un traitement de fond contre la migraine qui m’a fait prendre gratuitement la bagatelle de 6 kilos en 1 mois (+ des poussées d’acné et d’urticaire, une zombification massive de mon être, etc). Charmant.

Pourtant, le médecin – après m’avoir précédemment prescrit un médicament qui m’a fait l’effet d’un incendie dans l’Alberta, pardon l’estomac – m’avait mise en garde concernant le nouveau médicament : « – lisez bien la notice, notamment le paragraphe sur les effets secondaires ! »

La belle affaire, comme si la connaissance du mal avait le pouvoir d’endiguer ou éradiquer celui-ci ! Ce serait génial, surtout dans le cadre des politiques de prévention. « Maintenant que j’ai lu les inconvénients que comportent la prise de drogues, c’est bon, je peux en consommer. » LoL

Hélas, ce bad trip n’eut rien de grisant et l’euphorie fut de courte durée. J’ai stoppé net avant de voler au bonhomme Michelin la vedette, d’autant plus que ça n’a pas endigué mes maux de tête.

Le second motif est que je souffre de migraines dites “du sport”. Chaque week-end, que je parte en explo ou en rando (ou les 2), depuis toujours, j’hérite au retour d’une fièvre brûlante qui se mue progressivement en coups de marteaux répétés sur la tempe gauche.

J’ai découvert par moi-même que l’adjonction de repos, de la diminution du fromage et du sucre dans l’alimentation (dur, dur), des plantes infusées et enfin de l’existence régie par des heures fixes (work in progress)…permettaient de diminuer radicalement l’intensité des crises et leur durée. Bien plus que la codéine, faux ami, qui amplifie la fréquence en créant de l’accoutumance.

Attendre patiemment l’arrivée de la ménopause ne me sied point. Et puis la neurologue m’a expliqué qu’on avait quasiment fait le tour de tous les traitements autorisés à être prescrits en France.

Aujourd’hui, mon objectif serait d’en venir à bout. Pour ça, il paraît qu’il faut que le corps fabrique lui-même ses anti-douleurs. Donc, faire une activité physique souvent. Voilà, I should must.

Lien vers l’album

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